Bribe bleue


Une bribe bleutée de la vie de Clémentine.
Ce n'est pas le bleu de la tranquillité, ni celui de l'infini, ce ne sont pas ces images apaisantes qu'on lui attribue normalement. Non, Clémentine est dans le noir et le blanc. Elle reste dans cette normalité, dans cet anonymat, dans ce flou et ce gris plutôt rassurant où rien ne bouge. On est juste neutre. On n'a pas vraiment de couleurs. On se fond dans la masse. Puis Clémentine rencontre Emma, au coin d'une place, au détour d'une marche, un regard échangé, et une fascination immédiate, une attirance même si le mot est dur à s'avouer. Pour Clémentine, c'est le début du bleu des vagues.

Une bribe bleutée de la vie d'une époque.
En parallèle de l'histoire de Clémentine, on voit une époque se dessiner par touches: les infos par-ci, les bavardages par-là, les réactions, les façons de vivre et de penser, les actes et les pensées en fond. Dans l'étroite intimité d'un personnage palpitant, Julie Maroh glisse des bribes et des filaments de la fin du XXè siècle, où les choses commencent à réellement bouger du côté des droits LGBT. La construction de ce personnage se fait sur et s'entremêle aux idées mêmes de ces quelques années. Tout cela est interdépendant. C'est subtil, efficace, et d'une touchante finesse.

Les bribes bleutées de ces vies que l'on croise.
Une vie est faite de tant d'autres vies. Chacune d'elle, même si on en saisit un fil que l'espace d'une seconde, se noue à la nôtre et l'influence plus ou moins. Cette BD, en filigrane, le montre bien. La vie change pour Clémentine d'un seul regard. Ces changements impacteront son rapport aux autres. Ceux-là ne voudront plus partager les mêmes liens. Il y aura des accrocs, des fils coupés, des mots crachés. Mais aussi des nœuds solidifiés, des liens noués, des sourires tendus comme une corde salvatrice. Valentine est de ceux-là. Vif, doux, gentil et tendre garçon -gay- qui est pour elle un confident, un ami, un pilier et un conseiller. C'est une figure bienveillante et chaleureuse qui éclaire la bande-dessinée et reste sans doute à Clémentine son seul repère d'un bout à l'autre de son histoire mouvementée.

La bribe bleutée de la vie d'une adolescente qui se crée.
Clémentine croyait savoir qui elle était, vivait doucement et se disait peut-être même heureuse. Mais dès ce regard, dès cet échec avec un garçon, dès ses discussions avec Valentin, les engrenages commencent à se dérégler et sa vie à se fragiliser. La propre structure sur laquelle elle avait posé son identité se fissure et s'effondre, mettant à jour ses failles, ses faiblesses, son amour, ses différences, mais aussi sa force. C'est terriblement douloureux et touchant et superbe de voir cette jeune-fille emprunter un parcours parfois semblable, parfois différent au nôtre. Julie Maroh écrit avec beaucoup de délicatesse, et une justesse immense, la vie de son personnage et sa confrontation à sa propre identité, au regard des autres, à la société et à l'avenir.

Avec beaucoup de sensibilité, cet album pose la question de l'identité, de la manière dont on peut la forger dans une société souvent grise, noire et blanche. L'auteure dessine la souffrance, l'adolescence, les changements, grandir, l'amitié et l'amour. L'amour qui consume et détruit. Celui qui rend heureux. "Cette force qui fait vivre. C'est-à-dire qui fait naître et qui fait mourir." (Le livre de Perle). Clémentine renaît dans l'amour. Mais il la fait aussi mourir à petits feux.
La fin m'a semblé discutable. Mais finalement, elle est sans doute juste, inévitable. C'est l'histoire d'un amour consumant. Une vague bleue et chaude qui engloutit tout et ouvre les portes de l'infini. C'est l'histoire d'une souffrance, d'une vie menée contre la douleur, pour l'amour et le bonheur. C'est l'histoire d'une vie différente. C'est un album qui pose la difficulté de l'être, du devenir, de la volonté, des choix. Et qui demande: comment peut-on s'en sortir dans une société où on est rejeté ?
Enfin, c'est une bande-dessinée qui pose la question de l'intimité. De ce qu'il faut garder pour soi, ou non. De comment chacun organise sa sphère privée, sa sphère privée. C'est se demander si cette dernière peut nous servir à affirmer, défendre et faire savoir nos opinions. C'est se demander les dangers qu'une telle démarche entraîne. C'est peut-être là la fissure, le déséquilibre entre Emma et Clémentine.

Le texte est délicat, le dessin magnifique et les deux se laissent respirer, se laissent de la place mais savent aussi ne faire qu'un. C'est un art subtil, efficace, maîtrisé, fascinant et touchant.
Une vague de vie pour arracher à notre coeur la bribe sensible d'une superbe douleur: celle d'aimer.


Je n'ai pas vu le film, et on ne m'en n'a pas dit que du bien ... et vous, qu'en pensez-vous ?
Il a l'air bien, il a l'air fort, il a l'air touchant.

1 commentaires:

Thibaut a dit…

Vraiment un super avis que tu nous offres ici Nathan. J'ai lu le livre, je l'ai complètement adoré. Une réel force émane du dessin de l'artiste.
Quant au film, j'ai vraiment aussi aimé. Adèle est resplendissante dans le rôle d'Adèle (la Clémentine du livre) et la réalisation est presque parfaite. A voir au plus vite !

Enregistrer un commentaire